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Un homme du nord!

 

 

Leopold Verroken,

par Madame Verroken...


Article de Ch. Donner, paru dans le Journal du Trot (19/01/2009)
 


Mme Verroken ou l’art d’entraîner un mari entraîneur


La journée du Prix d’Amérique est aussi l’occasion d’honorer les grands professionnels du trot. D’abord, Helen Johansson la première femme à avoir remporté le Prix d’Amérique : une course porte désormais son nom. Outre Camille Blaisot, Jacques Andrieu, et bien sûr Jean-René Gougeon, au palmarès inégalé, disparu cette année, il y a aussi Léopold Verroken.
Nous avons interrogé son épouse qui a bien voulu retracer la carrière de cette figure inoubliable du trot français, vainqueur du Prix d’Amérique avec Eléazar, en 1980. Il est apparu qu’en fait, Mme Verroken avait eu une influence considérable sur la carrière de son mari. C’est elle qui l’a entraîné dans les aventures qui allaient faire sa gloire. Elle nous raconte comment.
 

 

-         Mon mari est né le 19 août 1931, à Saint-Laurent-Blangy, à côté d’Arras, dans le Pas de Calais. Son père et son oncle étaient déjà entraineurs. Ses parents sont belges mais lui est né en France. Il a commencé chez son père, à quinze ans il montait déjà en course.


- Sa première victoire ?


- C’était à Bihorel les Rouen, une course monté, bien sûr. Je ne le connaissais pas encore. Je sais qu’il a fait un stage de six mois chez Jan Kruitof, le père, avant de partir au régiment. Au retour de l’armée, il n’a pas travaillé longtemps avec son père, car celui-ci a eu un accident avec un cheval. Le père était beaucoup plus âgé que la mère.


- C’est à ce moment-là que vous l’avez rencontré ?


- C’est bien simple, on s’est mariés le 26 janvier 1955. Mes parents étaient agriculteurs dans la Somme et mon père adorait les courses, on allait tous les dimanches sur les champs de courses, c’est comme ça que j’ai fait sa connaissance : sur l’hippodrome. Il était déjà célèbre dans la région. Il y avait lui et M. Thirionet. Quand on voyait arriver le camion de M. Thirionet et celui de mon mari, on n’avait pas besoin de chercher ailleurs les gagnants, ils gagnaient tout. Dans la région, bien sûr.


- Comment s’est passée la rencontre ?


- Je parlais déjà avec un petit jockey du coin, là-bas, c’était un copain à lui, il m’a approchée comme ça, et puis après, vous savez ce que c’est, les jeunes… Moi, mon père était content que je parle avec un jockey, comme il aimait les courses… Et puis bon, ça a pris comme ça sur les champs de courses. Et après, comme à l’époque il n’y avait pas de courses l’hiver, en province, un dimanche sur deux c’est moi qui allait à Reims où il travaillait, et l’autre dimanche c’était lui qui venait par le train, me rejoindre à Amiens où j’étais avec mes parents. Mais ça n’a pas duré longtemps : comme il était très sérieux à son boulot, dès que ça a pris sérieusement, notre histoire, on a fait des fiançailles à Noël et le 26 janvier, un mois après, on était mariés, parce qu’il a dit : "Après je n’ai plus le temps, il faut que je recommence la province, et je n’aurai plus le temps de me marier." (rires) Mon père disait : "Mais c’est pas possible !". Eh bien si!

 

-         Quelle a été votre vie, à partir de là ?


- Je l’ai toujours suivi, je n’ai pas eu la chance d’avoir des enfants, ce qui m’a permis de le suivre et je travaillais avec lui aux chevaux. Je sortais tous les chevaux à la promenade. On avait trente chevaux et un seul commis. Mon mari ne faisait jamais de promenade, il ne faisait que trotter les chevaux deux fois par semaine. Le travail très sérieux c’était le mardi et le vendredi. Mon mari ferrait tous ses chevaux lui-même. C’est lui qui a appris à Marcel Gougeon. Donc je m’occupais des chevaux, j’ai eu un petit problème de santé, c’était quand même un peu dur, et un jour, deux ans après notre mariage, j’ai eu l’occasion d’aller présenter mes vœux à des amis qui tenaient le café PMU d’Arras. Le monsieur était couché, avec des gros problèmes de dos, il m’a dit : "Je veux vendre mon café." Je suis rentrée et j’ai dit à mon mari : "Je vais reprendre ce café" Il m’a dit "Tu es folle, tu viens de la campagne, tu n’y connais rien." Je lui ai dit : "Ne t’inquiète pas, je vais y arriver." Et j’ai tenu ce bar-PMU pendant neuf ans.


- Vous n’étiez plus du tout avec les chevaux ?


- Ah si ! L’après-midi. Le matin je prenais les paris, on était les seuls dans la ville. J’avais un monsieur qui m’aidait, et l’après-midi j’allais aux chevaux pour m’aérer, c’est pas bon d’être toujours enfermé dans un café. Je revenais à six heures et je retravaillais à mon PMU le soir pour payer les parieurs qui n’avaient pas eu le temps de venir le matin, etc. Je faisais la fermeture. C’était des journées très longues, on n’était jamais fermé avant onze heures, minuit, et levé à six heures et demie, tous les jours. Le dimanche, on travaillait à quinze personnes au PMU. Moi j’étais au bar, et mon mari m’aidait au PMU. A une heure, on rentrait l’argent dans le coffre, on montait en voiture, je conduisais pendant qu’il mangeait son sandwich et on allait courir sur tel ou tel hippodrome. On rentrait, il allait se coucher et moi je faisais la fermeture du bar.


- Comment êtes-vous arrivés à Paris ?


- On avait vendu un très bon cheval à M. Chyriakos (Prix d’Amérique 1952 avec Cancanière, trois Critérium des 4 ans, etc.), et puis ils n’arrivaient pas à s’en servir, c’était Kruger, c’était Sasse, ils n’y arrivaient pas. Alors M. Chyriacos l’a revendu, très cher, à un Italien, qui a donc demandé à mon mari de le mener en course. Mon mari partait tous les dimanches en Italie et il gagnait avec. Le cheval s’appelait Sydney D qui a gagné à Vincennes. Un très bon cheval.


- C’était son premier bon ?


- Ah non ! Quand on était à Arras, il allait gagner à Vincennes. Dès qu’il prenait un cheval dans sa voiture, pour aller à Vincennes, il gagnait. Au moins toujours dans les trois premiers.
- On imagine que les gens du PMU avaient des bons tuyaux.
- Ah j’avais du travail, chaque fois qu’il courrait : tous les gens le jouaient. (rires) Après, quand

M. Chyriacos a vu la valeur de mon mari, il lui a dit « Il faut que vous veniez driver mes chevaux. » Parce que Chyriacos entraînait mais il ne drivait plus en course.


- Léopold Verroken est donc devenu le driver de Chyriacos ?


- Dès le meeting 1967. Et là, un matin (on avait acheté un petit pavillon à La Varenne), mon mari revient à dix heures, je dis : "Mais qu’est-ce qu’il se passe ?" Il me dit : "Le patron est décédé. Crise cardiaque." Il a bien fallu continuer d’assurer le travail. On avait les plus gros propriétaires de l’époque. Weisweiller, Goulandris, Miguet, M. Gabin. On a eu les derniers chevaux de M. Gabin.

Et puis les clients de M. Charley Mills, quand M. Mills a arrêté, les derniers clients sont venus chez Chyriacos. Donc quand il est mort, tous les propriétaires se sont réunis chez M. Weisweiller, rue de Berry pour savoir ce qu’ils allaient faire, et c’est là qu’ils ont demandé à mon mari s’il voulait prendre la succession de l’entraînement. Le 1er mai 1968, on a tout repris à notre compte. Mais les héritiers de la propriété où nous étions installés ont dû vendre pour payer les frais de succession. Il fallait qu’on parte. Alors tous les après-midi, avec ma petite voiture, je suis partie à la recherche d’un endroit. J’ai fait toute la Seine et Marne. Ça m’a pris presque deux ans, et puis un jour je suis revenue en disant : "Je crois que j’ai trouvé mon bonheur. C’était à Rozay-en-Brie. Mais mon mari n’était très entreprenant. Il avait toujours peur.


- Ah bon ?

 

-         Ah oui ! Si je n’avais pas été là, il ne serait même pas monté à Paris. Il était très timide.

Très indépendant. Il ne voulait pas de cette propriété. Alors j’ai fait venir ses deux amis, Jean-René Gougeon et Jean Riaud, et j’ai dit : "Qu’est-ce que vous en pensez ?" Ils m’ont dit: "C’est formidable." Il fallait tout faire, les pistes, les boxes.


- Ce n’était pas du tout un centre d’entraînement ?


- Ah non ! C’était un élevage de faisans (rires) J’ai tout, absolument tout construit. Il fallait abattre des arbres, on n’avait pas le droit, enfin bon, on y est arrivé. En attendant d’aménager tout ça, mon mari est resté deux mois à Grosbois. Mais mon mari n’aimait pas Grosbois, il ne se sentait pas à l’aise, il voulait être chez lui. On a tout créé, et on en a fait un centre merveilleux. Là où Michel Lenoir est maintenant. On avait jusqu’à 110-120 chevaux à l’entraînement. On s’est donc installé là en 71, et on a vendu en 1996. Son premier grand cheval sur Paris, ça été Tony M. Le premier classique. Après, ça a été Cerise II, Dimitria, Eléazar, Jorky…


- Comment ça s’est passé avec Eléazar ?


- C’était un cheval qui était très gentil, mais qui avait des problèmes aux pattes. Très fragiles des pattes. Il avait des petites fêlures, je ne sais quoi, et un beau jour on a convoqué trois vétérinaires, avec M. Weisweiller. Il y en a qui a dit "Il faut l’opérer", l’autre qui hésitait, et mon mari a dit : "Moi, j’ai mon mot à dire. Ce cheval-là je l’ai eu poulain, il a dix ans, je ne veux pas qu’on l’opère. Alors on l’a laissé dans le box avec des ballots de paille. Un mois sans bouger. Après on l’a remarché au pas tout doucement, on l’a trottiné. On a créé une piscine exprès pour lui. Et on a gagné le Prix d’Amérique. Il avait dix ans, c’était sa dernière année. Il a gagné le Prix d’Amérique, le Prix de France, et après on a dit : « C’est fini », il est parti au haras. Je ne l’ai pas vu partir. Je ne voulais pas le voir partir.


- Eléazar, c’est votre plus beau souvenir ?

- Ah oui ! Vous pensez bien : le Prix d’Amérique…

Mr Léopold Verroken...

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